Dans son atelier situé en bordure de la Riviera, au Gosier, Claudius Barbin nous ouvre les portes de son atelier. Un endroit où on peut entendre, dès l’extérieur, résonner les sonorités du gwoka.
Claudius Barbin est une célébrité locale. Autodidacte, il a atteint une véritable excellence dans son art. S’il crée des Ka depuis 25 ans, c’est par amour de la musique et de son pays. Suivez-moi, je vous raconte…
Concevoir un Ka : des gestes de haute précision
“Donnez-vous le plaisir d’entrer. Pas la peine, mais le plaisir.”
C’est ainsi que Claudius Barbin accueille dans son atelier du Gosier une cliente venue de Saint-Martin. On rit, on échange un bon mot, on appelle l’époux pour qu’il remercie Claudius. On étend même l’amabilité jusqu’à offrir du papier bulle pour le transport en bateau, et à emmener le Ka dans le coffre de la dame. C’est dans cette ambiance détendue et bienveillante que Claudius Barbin me montre comment il travaille.
Claudius Barbin est un perfectionniste. Dans chacun des aspects de la fabrication de ses Ka, il cherche à atteindre l’excellence. Lorsqu’il tourne la clef pour serrer les cordes, il le fait toujours sur le cercle en métal pour être sûr de ne pas abîmer le bois du tambour. Lorsqu’il tend la peau sur le zoban, c’est en vérifiant à chaque réglage le son produit par les percussions. D’ailleurs chaque Ka est immédiatement testé par Claudius, comme si le fait de marquer le Ka faisait partie de sa naissance en tant qu’instrument de musique. Et dans ces moments-là, on voit à quel point Claudius aime jouer.
Reprenons ensemble les étapes par lesquelles Claudius passe toujours pour créer un Ka. Elles sont immuables, comme l’alternance de l’hivernage et du carême, et Claudius gère ses différentes étapes comme du papier à musique.
1. Le corps du Ka
D’abord, préparer le bois qui va servir à créer le corps du Ka. Choisir soigneusement les arbres à tailler, les découper en planches, puis tailler à l’intérieur des morceaux arrondis, à assembler soigneusement pour former le corps de l’instrument. Coller les pièces, poncer l’ensemble avec un papier abrasif en grain 80. En laissant le bois un peu rugueux, il peut mieux recevoir le cerclage en métal. Claudius met un point d’honneur à taper sur les cercles non seulement pour qu’ils rentrent bien, mais aussi pour qu’ils soient parfaitement alignés avec la bordure extérieure du Ka.
“On me dit parfois que je suis un peu trop chiant, que je n’ai pas besoin d’aller jusque là… Mais je pense qu’on ne peut pas se contenter de peu. L’homme doit toujours se dépasser, tendre vers la perfection.”
Et ce n’est pas fini ! Reste à poncer à nouveau le bois avec du papier abrasif (en grain 180 cette fois), jusqu’à ce qu’il soit bien lisse, pour enlever toutes les traces de métal. Passer une couche de vernis, adapter les cercles de métal pour sécuriser l’attache. Passer une deuxième couche de vernis…
2. Le zoban
On peut ensuite s’attaquer au zoban, qui couvre le coffre en bois. C’est cette partie de l’instrument sur laquelle la main des tambouyé va frapper pour faire résonner le son dans le ventre rond du Ka. On fait tremper la peau de cabri (la chèvre locale) dans de l’eau avant de la tendre et de la coudre sur le cercle de métal. Une fois que la peau a séché, on descend le zoban à l’aide d’une presse sur le Ka. On le place comme une couronne qui viendrait ceindre la tête du Ka.
3. Les finitions
Enfin, Claudius ajuste la tension de la peau sur le zoban en ajustant la tension des cordes qui entourent le ka. Il coupe des clefs et arrondit leurs angles avec une meuleuse. Ce sont ces clefs qu’il tourne plus ou moins, en jouant finement sur la peau de cabri à l’aide des cordes et de la presse.
Une fois le Ka bien calibré, Claudius Barbin découpe soigneusement les derniers fils attachés à la peau de cabri. Et on voit que ses mains sont aussi bien capables d’une grande force, que d’une grande dextérité.
Toutes ces étapes semblent fastidieuses, mais j’ai vu Claudius les réaliser de bout en bout d’une main de maître. C’est un artisan complet, qui maîtrise tous les aspects en lien avec la fabrication des Ka : il sait couper, aplanir, affiner et même caresser la peau du tambour.
“La première personne que j’essaie de satisfaire quand je fais un instrument, c’est moi. Je me dis que si je suis satisfait, alors le client le sera aussi. Et si moi je ne le suis pas, je comprendrais que le client soit déçu.”
Une vision humaniste de son art
Une chose m’a beaucoup touchée : Claudius Barbin garde toujours à l’esprit ce qu’il considère être la puissance du Ka. Il fait tout ce travail pour faire résonner le son du Ka.
“Le Ka, c’est le battement du cœur de mon pays.”
Oui, c’est pour lui bien plus qu’un instrument de musique. Car c’est par conviction et par amour de sa terre natale que Claudius s’est lancé dans la confection de Ka. Dans un premier temps, il a travaillé la calebasse, et produisait des objets décoratifs à destination des visiteurs de passage en Guadeloupe. La calebasse demande moins d’investissement, et elle pouvait à l’époque se trouver facilement. Au bout de quelques années, Claudius a voulu travailler plus en profondeur. Après quelques commandes ponctuelles de Ka, il décide d’en faire son activité à temps plein.
“Il y avait une quête d’Africanité en moi. Je n’en étais pas encore conscient, et c’est avec la maturité que je l’ai compris… mais le Ka représente pour moi les joies, les peines, les rébellions du peuple Guadeloupéen.”
Même lorsque l’on ne joue pas de l’instrument, le Ka est tellement représentatif de la culture guadeloupéenne, qu’il semble logique d’en posséder un. On accourt de toute l’île pour acheter les Ka créés par les mains de Claudius Barbin. Et lorsqu’il faut aller représenter les instruments de musique traditionnels, c’est encore lui qui est choisi pour exposer et représenter notre île.
“J’ai envie de donner du beau à mon pays. On nous a envoyé de la laideur, moi je pense que nous avons du beau. Tous les êtres sont beaux, pour moi la beauté c’est le cœur."
C’est dans cette démarche de représentation que Claudius Barbin s’inscrit. Et il va beaucoup plus loin que la fabrication des Ka. Il considère que l’artisanat peut devenir une source d’emploi et de développement de l’économie locale. Il y aurait en effet fort à faire pour structurer la création artisanale en Guadeloupe. En formant les plus jeunes à un métier par exemple (sur une île où seulement 39% des 15-29 ans sont actifs, d’après l’INSEE). En organisant ensuite l’approvisionnement en matières premières telles que le bois et la peau de cabri. Claudius Barbin m’explique qu’il pourrait ainsi se concentrer sur son activité, au lieu d’aller chercher le bois tout seul à Fougères, ou de se faire livrer des peaux de cabri des îles voisines… Autant de tâches pour lesquelles il aimerait s’appuyer sur d’autres acteurs.
L’importance culturelle du Ka en Guadeloupe
Au collège, j’ai appris les 7 rythmes principaux du Ka en cours de musique. Et même si la pratique me plaisait, je n’avais pas conscience de la portée des sons du Ka pour l’imaginaire collectif guadeloupéen.
Mais jouer du Ka, c’est bien plus que de frapper en rythme. C’est l’occasion de revisiter notre histoire, de se plonger dans la source de ce qui a fait du Ka un instrument de notre liberté, un moyen d’expression à part entière, une cellule de notre identité. Le Ka, c’est l’instrument central grâce auquel a lieu le Gwoka, une manifestation qui fait vibrer tous ses participants.
“J’ai une soif de valoriser ce qui est authentique dans mon pays.”
L’histoire du Gwoka découle directement de l’oppression et de la mise en esclavage des Africains déportés en Guadeloupe. Étant donné leur volonté de se libérer, les rassemblements étaient formellement interdits : ils auraient pu être l’occasion de s’organiser et de renverser l’oppresseur. C’est ainsi que les esclaves ont commencé à s’exprimer à travers le Ka.
Le Gwoka guadeloupéen a été inscrit le 26 novembre 2014 par l’UNESCO sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Voici le reportage qui a été tourné à cette occasion :
Les oeuvres de Claudius Barbin
Un condensé de culture et de musique, de vrais bijoux
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