Une artiste concentrée sur l’abolition de ses egos
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Une artiste concentrée sur l’abolition de ses egos

Au bout d’une petite impasse au Gosier, Agnès Djafri me reçoit au milieu d’un joyeux remue-ménage. Il y a un copain jardinier qui s’active, son fils avec des amis, un chien qui remue frénétiquement la queue, et puis une invitée pour quelques semaines en Guadeloupe. Au milieu de tout ça, elle sourit largement, et prend son temps pour m’expliquer sa vision d’artiste…



En fait, Agnès sourit tout le temps. Et croyez-moi, ce n’est pas parce qu’elle est naïve, loin de là. Je dirais même qu’elle fait preuve d’énormément de volonté dans sa vie de tous les jours, et dans son art aussi.



Un art qui se nourrit de sa quête intérieure


Agnès a décidé de se consacrer toute entière à une lutte pour abolir ses egos. Alors oui, la formule semble un peu alambiquée, mais son objet est formidable. Laissez-moi vous dire pourquoi…


Agnès Djafri porte une attention continue à ses réactions, à ses émotions. Elle s’applique à trouver en elle toutes les traces d’orgueil, de colère ou de réserve qu’elle pourrait percevoir. Son but ? Comprendre ce qui crée en elle de tels remous et les déconstruire afin de laisser la place à la conscience, et trouver la paix intérieure.

J’ai d’ailleurs eu un peu de mal à rédiger cet article, parce que le discours d’Agnès a remué en moi les indécisions et automatismes que j’ai. Un exemple tout bête : à force de vivre à Paris, j’ai perdu l’habitude de conduire une voiture (pourtant j’ai été commerciale et je conduisais en moyenne 14 heures par semaine…). Donc quand j’ai dû quitter l’impasse pentue où réside Agnès, j’étais un peu inquiète à l’idée de la manœuvre qui m’attendait, et je lui ai dit qu’elle pouvait rentrer chez elle, que je préférais qu’elle “ne me regarde pas”. Agnès m’a fait remarquer qu’il s’agit là d’une réaction de mon ego. Car ce n’est pas naturel de craindre le regard de l’autre. Pensez-y, combien de fois par jour vous inquiétez-vous de ce que l’on pourra dire ou penser de chacun de vos gestes ? Il s’agit pourtant là de considérations objectivement inutiles dans votre journée. Vous devrez toujours faire ce que vous avez à faire, et la réaction d’autrui n’y change rien…


Bref, il s’agissait là d’une digression assez longue, mais bien utile pour vous poser le cadre de pensée d’Agnès. Mais comment en est-elle arrivée là ?


Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Agnès a toujours été fascinée par la philosophie et la psychanalyse. Elle m’explique qu’elle lisait déjà Freud au collège, puis bien plus tard, Matthieu Ricard, Laurent Gounelle, Paulo Coelho, Aun Weor... La liste est longue côté philosophie, et ponctuée de noms célèbres de la littérature antillaise : Maryse Condé, Gisèle Pineau, Patrick Chamoiseau… Depuis quelques années, Agnès a étudié les grands principes communs à toutes les civilisations : amour + respect + méditation.

À l’époque des grands philosophes, la démarche était beaucoup plus profonde que de la psycho ou du développement personnel. La philosophie faisait vraiment partie de la vie.”

Et c’est ce vers quoi Agnès tend : elle s’observe, s’auto-analyse, cherche à comprendre qui elle est. Tout ce cheminement, elle le retranscrit dans ses toiles.


“C’est le cheminement qui m’intéresse. Il est fastidieux, difficile, mais il a aussi ses moments de gloire. Je me sens de plus en plus libre. Donc j’ai plus de temps pour voir les belles choses, ressentir les belles émotions, m’émerveiller.”

Agnès a déjà beaucoup progressé dans sa quête de paix. Pourtant, je n’ai pas du tout eu l’impression qu’elle se pose en gourou ou en instructrice. Au contraire, elle parle du long chemin qui lui reste à parcourir, et ce sont ses réflexions, ses progrès qu’elle pose sur la toile, en aplats de couleurs vives.


Son processus créatif reflète ce tâtonnement. Avant de peindre, Agnès écrit beaucoup… note ses réflexions dans des carnets, invente des poèmes philosophiques, gribouille de petites esquisses sur tout ce qui lui tombe sous la main, dans d’autres carnets, sur une serviette de table, sur un bloc note…


Je trouve ça rassurant de voir qu’une artiste avec autant de talent puisse rester un peu brouillon comme ça, comme n’importe lequel d’entre nous. Je vous laisse d’ailleurs la regarder à l’oeuvre :




Prendre la responsabilité de nos vies


Agnès m’explique que nous sommes tous les jouets de nos egos et que des formules comme “C’est plus fort que moi” ou “J’ai pété un câble” en sont la preuve.


Pour elle, plus on travaille sur soi-même et plus on est capable de se libérer de ses pulsions. Cela fait plusieurs années qu’elle travaille dans ce sens, c’est un combat qu’elle nous partage dans son art.


En voici un exemple avec la série “Po chapé”. Agnès Djafri a travaillé sur ce thème en 2019, sur la proposition de l'artiste Martiniquais Habdaphaï.



En créole, l'expression "po chapé" est lourde de sens, entretenant l'idée qu'avoir une peau claire est une chance. Des parents pouvaient encourager leurs enfants à épouser des personnes à la peau plus claire ou blanche pour “sauver” la peau des générations futures… c’est-à-dire leur éviter une peau noire. Heureusement, ce genre de réflexions se font rares, et je n’ai jamais entendu ce genre de discours pendant mon enfance.


Plutôt que de prendre le sujet au pied de la lettre, Agnès a imaginé une série où les personnes représentées vont au-delà du conditionnement* et des idées qu’on leur inculque. Le cou allongé, séparé en plusieurs strates, représente notre évolution spirituelle. Les phases grâce auxquelles nous progressons en tant que consciences, que ce soit par notre éducation ou grâce aux événements de la vie.


“Peu importe ce qui nous arrive, le problème ce n’est pas l’autre. C’est le travail sur nous qui peut nous élever.”

L’autre élément fort de ces toiles, c’est la couronne. Agnès m’explique qu’elle peut être considérée de deux façons : soit comme une couronne d’épines, soit comme une auréole. Ce que j’en comprends, c’est que selon notre manière de réagir aux épreuves de la vie, aux événements qui se produisent - et pour tout le monde, c’est un lot de bon et de mauvais, nous choisissons de saigner ou de nous élever.


Et cette image me touche en plein cœur… Depuis quelques années, j’ai des douleurs dans la hanche et j’ai longtemps considéré que c’était injuste de me mettre à boiter aussi jeune. Pourtant, avec le recul, je me dis que c’était peut-être une chance, une opportunité de me poser de vraies questions sur le bien-être, la manière de se traiter au quotidien, les émotions qui peuvent se traduire dans le corps. Et qui sait, peut-être que je ne serais pas en train d’écrire cet article, si j’avais été en pleine santé ?


Agnès nous propose de travailler sur nous-mêmes, de nous élever et de prendre la responsabilité de notre vie, sans nous laisser emporter par le quotidien ou les conditionnements que nous avons acquis au fil des années.


“Transcender ce qu’on est. Où qu’on naisse, on doit faire avec ce qu’on a. Les gens vous regarderont comme vous vous voyez.”

*un conditionnement, c’est une réaction quasi-automatique à une situation, sans prendre le temps de la réflexion. Par exemple, avoir peur de prendre la parole en public (au hasard).



Une vision résolument optimiste


Il faut dire que la vie d’Agnès Djafri n’a pas été un long fleuve tranquille. Sa maman, assistante maternelle, accueillait des orphelins dans leur foyer. Les enfants ne pouvaient jamais rester très longtemps, pour éviter que la famille ne s’attache à eux. Quand Agnès m’en parle, j’ai l’impression qu’elle a gardé d’eux des souvenirs précieux, mais avec un goût d’inachevé. Elle se demande s’il n’aurait pas été préférable de prendre soin de moins d’enfants, mais pendant plusieurs années, afin de les accompagner jusqu’à l’âge adulte.


Ce sujet laisse une pointe de regret dans la voix d’Agnès, mais une idée me traverse l’esprit : c’est peut-être cette expérience qui lui a permis d’apprendre le renoncement, le détachement envers les événements ?


“Je sors toujours le positif de chaque histoire. Même dans les mauvaises herbes, il y a des plantes médicinales. Il y a du beau partout. C’est en faisant sortir le beau des êtres meurtris qu’on les aide.”

Agnès n’en parle pas beaucoup, mais elle a eu ses enfants avec des hommes différents. Avec pudeur, elle ne cherche pas à s’épancher sur le sujet, mais je me demande si cette histoire-là aussi ne lui aurait pas donné envie de détachement, de sérénité.


Car aujourd'hui, Agnès vit d’une manière complètement différente de la plupart des gens. À une vie trépidante, sans introspection, elle préfère la pratique de la méditation et de la respiration. Elle m’avoue même que le confinement a été un moment bienvenu pour elle, où elle a pu se concentrer sur son art, sur son cheminement intérieur.


Elle a d’ailleurs réalisé une série à 4 mains avec sa fille Khad : "Les Portes sur l’ailleurs".



Cette série parle de cultiver ce qu’il y a de bon en nous, notre jardin d’Eden intérieur.


“J’ai fait pousser des étincelles divines, des symboles. J'aime les couleurs pures, simplement sorties du tube. Parce que pour moi chaque couleur a son éclat propre, sa vérité intrinsèque."

Un peu comme les humains, en somme.


Si vous voulez en savoir plus sur Agnès Djafri, je vous livre en vrac quelques anecdotes... Elle aime peindre depuis toujours, elle me dit en riant “peut-être depuis le primaire même”. Elle s’est lancée dans l’acrylique au lycée, puis dans la peinture à l’huile. Mais c’est l’acrylique qui a toujours sa préférence, pour voir le résultat vite et peindre dans l’instant. Elle aime le surréalisme, la BD, l’expressionnisme, et par-dessus tout, elle aime la figuration libre. Elle aime les animaux, se sent honorée quand un iguane se promène dans son jardin. Elle a choisi d’être vegan, tout en restant gourmande.


Quand je vais partir, elle me remplit les mains de curcuma, pour que je me fasse une infusion à la maison. Ce sont ces petits détails qui me font voir l’immense cœur d’Agnès, et sa façon détachée mais tendre de faire attention aux autres. Une parenthèse de douceur dans ma journée.


Êtes-vous prêt à accueillir des étincelles divines chez vous ?



 

Les créations d’Agnès Djafri

Entre détachement et attention





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